Sylvie Thonnerieux: « Dans les pays occidentaux les plus avancés, y compris aux Etats Unis et au cœur de l’Europe, on constate des situations inacceptables »

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Depuis 2008, la Confédération syndicale internationale (CSI) organise le 7 octobre la Journée mondiale pour le travail décent. Lequel résume les aspirations de l’homme au travail. Cela inclut l’accès à un emploi productif et convenablement rémunéré, la sécurité sur le lieu de travail et la protection sociale. Les perspectives de développement personnel et d’insertion sociale, la liberté d’expression en font également partie. Sylvie Thonnerieux, responsable du service social , étthique et environnement chez Acte International, société globale de supply chain situe l’intérêt de cette journée de sensibilisation.

 

Que faut-il entendre par travail décent ?

Sylvie Thonnerieux : Pour moi, un travail décent est tout d’abord un emploi légalement encadré, matérialisé par un contrat de travail indiquant les caractéristiques du poste : durée du travail, niveau de salaire, bénéfices sociaux, évolution de poste, etc. Le salarié doit disposer de la liberté d’accepter ou de refuser ce travail, ou les exigences qui lui seraient imposées au-delà des conditions de base (heures supplémentaires abusives par exemple). Ce n’est bien sûr pas le cas dans des situations de travail forcé, lorsque par exemple les documents d’identité originaux sont retenus par l’employeur et que le salarié immigré n’a pas la liberté de quitter le pays dans lequel il a trouvé un contrat.

Sylvie Thonnerieux : Bien entendu, qui dit travail décent dit paiement d’un salaire décent. Il faut bien comprendre qu’il peut y avoir une grande différence entre le salaire minimum légal en vigueur dans un pays et le salaire décent. Le salaire minimum est mis en place par le gouvernement du pays, à un niveau qui doit rester attractif pour les acheteurs et investisseurs internationaux, donc bas. Le salaire décent quant à lui doit permettre de couvrir les besoins du salarié et de sa famille : alimentation, logement, transport, frais de santé, éducation …, et dans l’idéal, de permettre l’accès aux loisirs et à l’épargne.

Des aspirations légitimes pour tous les travailleurs des pays émergents où le niveau de richesse progresse, favorisant l’accès à de meilleures conditions de vie. Des ONG comme Asia Floor Wage, ont travaillé sur des modalités de calcul du salaire décent par pays : par exemple, pour le Bangladesh ou le Cambodge le salaire minimum est de 3 à 5 fois inférieur à ce que devrait être le salaire décent. Nous constatons encore trop souvent au cours de nos audits sociaux que le salaire minimum légal n’est pas respecté, notamment quand les ouvriers sont payés à la pièce, alors il reste encore du chemin à parcourir.

 

Quelle est l’importance du facteur santé et sécurité ?

Sylvie Thonnerieux : Le volet santé sécurité est également primordial quand on parle de travail décent. Le travail doit se dérouler dans des conditions de sécurité et d’hygiène acceptables, qui ne mettent pas en danger la vie de l’ouvrier, avec des pauses régulières, notamment pour s’alimenter correctement.

En outre, pour permettre de progresser vers un niveau de travail décent, il faut donner le droit et les moyens aux ouvriers de s’exprimer sur leurs conditions de travail et de dialoguer avec leur employeur pour trouver des solutions réalistes, adaptées à l’entreprise. Cela peut se faire par le biais de simples comités de travailleurs, quelquefois au sein du comité d’hygiène et de sécurité, mais aussi par le biais d’une représentation syndicale dans l’usine, au niveau local, national puis international.

 

Quels acteurs peuvent agir dans ce domaine ?

Sylvie Thonnerieux : Tout le monde est concerné et peut agir ! Les États en premier lieu ; car ils définissent le niveau du salaire minimum légal et peuvent légiférer pour promouvoir le travail décent. Ce sont également eux qui disposent des moyens de contrôle pour vérifier de la bonne application de leurs lois nationales sur le temps de travail, les conditions d’hygiène et de sécurité, la non-discrimination, etc.

Les entreprises opérant à l’International ont un rôle central à jouer en cartographiant leur « supply chain » pour mieux connaître leurs fournisseurs et les conditions politiques, sociales, éthiques et environnementales des pays dans lesquels elles opèrent. Ainsi, elles ont une meilleure connaissance de ce qui se cache derrière le prix d’achat du produit. Tout acheteur devrait demander à avoir une décomposition du prix d’achat du produit pour pouvoir extraire le coût précis de la valeur travail et ainsi négocier avec l’industriel une amélioration des conditions salariales et bénéfices sociaux pour les ouvriers. Les audits sociaux sont un bon outil pour permettre de vérifier l’amélioration effective de ces conditions.

Les ONG jouent un rôle important, car elles peuvent apporter un support local aux entreprises qui souhaitent mettre en place des politiques de travail décent chez leurs fournisseurs. Elles jouent également leur rôle d’agitateur en allant solliciter les entreprises pour leur demander de donner des preuves tangibles de leurs actions dans le domaine du travail décent. Ce fut le cas du Collectif Éthique sur étiquette qui avait sollicité toutes les marques du secteur textile/habillement en 2015.

 

Quel est l’intérêt d’une journée mondiale du travail décent ?

Sylvie Thonnerieux : Cette journée a le mérite d’attirer l’attention de tous sur ces sujets primordiaux pour notre société globalisée que sont le respect des droits humains et des conditions de travail décentes pour tous. Le sujet du travail décent ne se limite pas aux pays dits les moins développés. Dans les pays occidentaux les plus avancés (y compris aux Etats Unis et au cœur de l’Europe), on constate des situations qui sont inacceptables, tant au niveau salarial que des conditions de travail. Il faut donc rester vigilant.