Selon le rapport que publie l’Institut Montaigne, « les salariés français à temps plein, qui représentent plus de 80 % du salariat français, travaillent moins que leurs voisins, dans des proportions inquiétantes, quelle que soit l’échelle de temps considérée :hebdomadaire, annuelle ou sur la durée totale d’une carrière ». Les constats, tout comme les propositions décoiffent. On attend les réactions des syndicats, de l’ANDRH, et du ministre du Travail. En attendant, voici, tel quel, un résumé.
Le temps de travail représente un enjeu de compétitivité majeur
Durées hebdomadaires et mensuelles de travail basses, âge de départ à la retraite précoce, fort taux d’absentéisme, chômage élevé : tous ces facteurs concourent à limiter la quantité de travail et, de fait, la production du pays. Si la dégradation de la compétitivité française résulte évidemment d’une conjugaison de facteurs, le faible nombre d’heures travaillées ainsi que la dérive du coût salarial horaire, auxquels s’ajoute une productivité en berne, figurent parmi les facteurs ayant le plus handicapé l’économie française au cours des dix dernières années. À l’heure où la France connaît une croissance atone et traverse une crise économique majeure, l’impact macroéconomique – à moyen et long terme – d’une réforme du temps de travail doit motiver un changement. Alors que près de deux Français sur trois se déclarent favorables à l’idée d’autoriser les entreprises et les branches à déroger à la législation sur les 35 heures en cas d’accord avec les organisations syndicales, s’engager dans une réforme du temps de travail est devenu un enjeu majeur pour la santé économique de la France et le maintien de son système de cohésion sociale. Cette réforme, pour réussir, devra s’appuyer sur la négociation collective et s’accompagner d’une réflexion quant à l’organisation du travail et au management intermédiaire.
Tous secteurs confondus, les salariés à temps plein travaillent en France moins que dans les pays européens et les économies comparables de l’OCDE
La faible durée du travail s’explique par une durée hebdomadaire de travail des salariés à temps complet basse, mais surtout par un nombre cumulé de congés et jours RTT très important et un absentéisme marqué . Selon Coe-Rexecode, la durée effective annuelle de travail des salariés à temps plein est en France la plus faible (avec la Finlande) de tous les pays européens : 1 661 heures en 2013, soit 186 heures de moins que l’Allemagne, 120 heures de moins que l’Italie et 239 heures de moins que le Royaume-Uni. Enfin, la France fait partie des pays où l’âge effectif de départ à la retraite est le plus bas, les Français achevant leur vie professionnelle entre trois et quatre ans plus tôt que dans la moyenne des pays de l’OCDE. Le temps de travail est très inégalitaire en fonction des secteurs d’activité et des métiers La situation des actifs français est extrêmement disparate : certains salariés bénéficiant de volumes horaires très faibles alors même que d’autres, notamment les salariés des petites entreprises et surtout les travailleurs indépendants, connaissent des durées de travail parmi les plus élevées d’Europe. Les statistiques apportent ainsi deux enseignements forts :la durée effective annuelle du travail est plus faible dans le secteur public que dans le secteur privé d’une part ; au sein du secteur privé, les salariés des grandes entreprises travaillent moins que ceux des petites entreprises , d’autre part.
De fortes inégalités sont également constatées entre salariés en matière de jours de congés
Le secteur public est marqué par une absence de données inquiétante et de fortes disparités entre fonctions publiques Les trois fonctions publiques (État, collectivités territoriales et hôpitaux) se caractérisent par un manque préoccupant de données sur la durée effective de travail des 5,5 millions d’agents publics. Il n’existe à ce jour aucune obligation pour l’employeur public de rendre disponibles les données agrégées concernant ses agents.
Les propositions de l’institut :
Augmenter le temps de travail dans le secteur privé
Pour le secteur privé, deux scénarios sont possibles :
Un scénario progressif : augmenter la durée légale annuelle à une durée comprise entre 1 740 et 1 830 heures (équivalent annuel de 38 à 40h hebdomadaires) sans remise en cause des accords existants. Pour les entreprises s’engageant dans cette voie, la loi pourrait prévoir l’absence de compensation salariale totale et l’accord collectif négocié s’imposerait au contrat de travail des salariés. Les nouvelles entreprises seraient directement régies par nouvelle la durée légale.
Un scénario plus volontariste : supprimer la durée légale du travail (seuls seraient conservés les seuils plafonds déterminés par les textes européens). La durée du travail serait ainsi fixée par accords collectifs de branche ou d’entreprise. En cas d’absence l’accord, la décision unilatérale du chef d’entreprise serait autorisée.
Donner plus de souplesse aux entreprises pour organiser le travail en permettant qu’une partie des sujets concernant l’organisation du travail soit décidée de façon unilatérale par le chef d’entreprise qui en informerait les partenaires sociaux, via la procédure d’information-consultation (par exemple pour la mise en place d’astreintes, les équipes alternantes hors horaires de nuit ou encore la création de CET)
Augmenter la durée légale de travail dans la fonction publique
Déplacer le seuil de déclenchement des heures supplémentaires à une durée annuelle comprise entre 1 740 et 1 830 heures sans compensation salariale. Cette absence de compensationsalariale pourrait être limitée à trois ans.
S’appuyer sur le dialogue social et octroyer un délai de deux ou trois ans pour renégocier les modalités d’organisation du travail.
Lutter contre l’absentéisme en instaurant instaurer au moins un jour de carence dans la fonction publique comme dans le secteur privé, où il serait rendu obligatoire ;
Donner au management intermédiaire de la fonction publique les moyens de mener une véritable GRH de proximité : formation des managers aux enjeux liés au temps de travail, indexation des primes d’objectifs à l’effectivité du temps de travail des agents, généralisation des badgeuses, renforcement des contrôles.
Augmenter la durée de travail effective des agents publics en mettant en en place des outils de suivi du temps de travail dans la fonction publique en élaborant des statistiques détaillées (absentéisme, congés, etc.) de manière harmonisée dans les trois fonctions publiques .
Rendre obligatoire la publication annuelle de ces données ainsi qu’une discussion au Parlement sur les heures effectives de travail réalisées dans les trois versants de la fonction publique dans le cadre du Projet de loi de finances .
Supprimer l’incitation financière pour les agents à 80 % et 90 % et augmenter fortement l’application du régime du forfait aux cadres A.
Agir en fonction des spécificités de chaque fonction publique. Ainsi, pour la fonction publique territoriale, indexer la dotation de l’État aux collectivités locales sur la durée effective de travail des agents. Pour les enseignants : annualiser le temps de travail des enseignants du secondaire, limiter les décharges de service obsolètes et favoriser la polyvalence des enseignants. Pour la fonction publique hospitalière : agir sur la connaissance et le management du temps de travail des médecins à travers la mise en place d’outils de suivi et le renforcement du binôme chef de service / cadre de santé.