Plusieurs grandes entreprises qui comptent parmi leurs actionnaires significatifs des salariés représentés au conseil d’administration, s’apprêtent à licencier massivement. Les administrateurs issus du personnel sont inaudibles. Pourtant, selon le dernier Baromètre IFA-Ethics & Board, leur nombre croît, leur rôle au sein des comités s’affine.
Les administrateurs salariés sont-ils des empêcheurs de tourner en rond? Bon nombre d’investisseurs institutionnels influents au sein des conseils d’administration des grands groupes sont enclins à le croire. Conseillés par des experts en droit de vote, ils font barrage aux augmentations de capital réservées, synonymes d’influence accrue des représentants du personnel au sein des conseils.
Les réfractaires craignent de possibles collusions entre dirigeants et actionnaires salariés. Les derniers soutenant les premiers, en échange d’une politique de l’emploi et des salaires généreuse.
Une autre source de suspicion vient du vote contestataire des associations d’actionnaires salariés constituées au sein des entreprises. “De fait, certains acteurs voudraient limiter les employés épargnants au seul rôle d’apporteurs de capitaux, de préférence atones et prêts à voter les résolutions d’année en année” expose un administrateur CFDT.
L’appréhension est telle que le Fondact, alerté, a créé au début de cette année un groupe de travail sur ce thème. L’association présidée par Michel Bon, et qui se définit comme le creuset de “ceux qui croient aux vertus du partage des profits pour faire réussir ensemble les salariés et les entreprises”, veut comprendre l’origine de cette opposition en associant les parties prenantes, “afin de faire valoir les vertus de l’actionnariat salarié sur la performance économique des entreprises”.
Effet d’accélération de la loi Pacte
Justifiée ou non, la méfiance provient aussi de l’accroissement des sièges réservés aux employés au sein des conseils. La loi Pacte l’accélère la tendance. Selon le dernier Baromètre de l’Institut français des administrateurs (IFA) et du cercle Ethics & Boards, publié dernièrement, on devrait compter dans le SBF 120 (les 120 premières capitalisations boursières de la place de Paris) 190 sièges d’administrateurs salariés à fin 2021, contre 121 l’an dernier et seulement 92 en 2015. S’y ajoutent 29 autres places occupées par des délégués de collaborateurs porteurs de parts, un chiffre relativement stable depuis près de dix ans, sachant que les deux cadres de désignation sont distincts.
À l’issue de la période des assemblées générales qui vient tout juste de s’achever, 69 % des plus grandes sociétés cotées comptent au moins un administrateur salarié, mais la moitié seulement des sociétés éligibles sont en conformité avec la loi Pacte. Le Baromètre précise que parmi les 52 sociétés qui ne sont pas encore en règle, “80 % ont voté une résolution en assemblée générale permettant la désignation d’un ou deux représentants du personnel supplémentaires”. Au stade actuel, un administrateur sur sept est issu du personnel.
La distribution de dividendes par des groupes bénéficiant d’aides publiques choque certains administrateurs salariés. Le FAS qui fédère les employés épargnants estime qu’il appartient à chaque entreprise d’aviser.
La progression numérique est une chose, la capacité d’influence sur les décisions en est une autre. Le Baromètre IFA-Ethics & Boards qui étudié de près le positionnement des intéressés dans les structures des conseils, constate qu’ils ne font pas seulement de la figuration. Ils ont généralement voix au chapitre dans quatre comités sur dix, dont celle des rémunérations.
Pourfendeurs des salaires stratosphériques, les intéressés parviennent dans certains cas à pousser à la modération. Une étude menée conjointement par Imane Mohat, (université Aix Marseille) et Djaoudath Alidou, chercheur associé au Crego de Dijon, confirme que les salariés, “pas enclins à favoriser l’envolée des rémunérations des dirigeants”, mettent la pression à l’occasion des assemblées générales, lors de l’embauche ou du départ des dirigeants. Il n’est pas rare qu’ils poussent ces derniers à se montrer moins gourmands. Ce fut le cas pour l’ex-patron de Carrefour, Georges Plassat, contraint de renoncer à une partie de sa rémunération de 2017, jugée “choquante” par les salariés actionnaires parce qu’il laisse le groupe en pleine déroute.
De même, l’ancien dirigeant de Renault Nissan, Carlos Ghosn, avait été forcé de soumettre les éléments de sa rétribution à un audit express, sur injonction du Medef et de l’Apef. La mèche avait été allumée de l’intérieur.
Autre sphère où les administrateurs issus du personnel sont actifs : les comités de responsabilité sociétale. Ironie du sort, ils y ont été cantonnés en nombre, il y a quelques années, dans le but de les écarter des décisions supposées plus sensibles : la stratégie, les nominations et la gouvernance. Depuis, les temps ont changé, les comités RSE ont pris une importance insoupçonnée. L’IFA confirme: “le nombre de conseils ayant un comité spécifique en charge de la RSE a plus que doublé depuis 2015”. Et leur rôle n’a plus rien de cosmétique. Ni pour l’image employeur et la notation extra-financière, ni même pour les salaires des dirigeants.
Les objectifs RSE pèsent en moyenne 14,3 % dans les critères du variable annuel des grands patrons. En revanche, la patte des représentants salariés sur la gestion des emplois est inexistante. À l’heure des licenciements massifs pour cause de covid-19 dans les grands groupes industriels, leur voix est inaudible.