Des voix dissonantes se font entendre dans le concert d’autosatisfaction qui accompagne la publication des premiers index d’égalité professionnelle. Les entreprises qui rémunèrent plus de 1000 salariés sont contraintes depuis le 1er mars d’afficher les résultats obtenus à l’aune de cinq critères d’équité représentant 100 points. Une note inférieure à 75 oblige à négocier des mesures correctives sous peine de pénalités.
La critique la plus dure vient de la CGT qui s’élève contre « l’opacité organisée ». Pour la confédération de Montreuil, les écarts de rémunérations n’ont de sens qu’exposés dans le détail, alors que « le gouvernement a seulement imposé la publication d’une note globale ». Les seuils de pertinence qui consistent en un mot à pondérer les différences lui semblent aussi arbitraires. « ceci revient à admettre par principe, une partie de l’inégalité ».
Autre critique dure du syndicat de Montreuil : « au lieu de comparer le montant d’augmentation des femmes et des hommes, on regarde seulement le pourcentage d’hommes augmentés annuellement ». Résultat : il est possible, dit l’organisation, d’afficher des augmentations en trompe-l’oeil et a minima pour les femmes. De même pour le retour de congé de maternité, au lieu de vérifier l’application de la loi et de s’assurer que les femmes ont bénéficié du même montant de revalorisation que leurs homologues, on se contente de vérifier qu’elles ont toutes été augmentées, sans même s’intéresser au niveau de l’amélioration, comme la loi l’impose.
La CFDT réclame un droit au bilan
Pour couronner le tout, l’index présente, toujours selon la CGT, l’inacceptable défaut de ne tenir compte ni des écarts de temps de travail, ni des différences cumulées sur la carrière, et encore moins de la dévalorisation présumée des métiers à prédominance féminine.
Moins catégorique, la CFDT trouve aussi quelques défauts à cet index dont elle approuve néanmoins le principe. Les réserves des cédétistes concernent la barre des 75 points à partir de laquelle les grands groupes pourraient se considérer comme vertueux et potentiellement dispensés de négocier des actions de rattrapage. “la CFDT ne considère pas qu’une note au-dessus de 75 est un gage d’exemplarité absolue en matière d’égalité salariale ni un blanc-seing pour ne rien faire”. L’organisation dirigée par Laurent Berger fait savoir qu’au-delà de la note globale, “il convient d’analyser finement les différents éléments mesurés par l’index. Une note globale satisfaisante peut masquer des réalités très disparates et des situations très discriminantes le sujet”. Bref, l’index établi en toute transparence doit être un point d’appui pour le dialogue social.
Les entreprises de plus de 250 personnes ont jusqu’au 1er septembre pour publier leur index. pour celles dont l’effectif est compris entre 50 et 250 collaborateurs, la date butoir est fixée au 1er mars 2020.
De son côté, la CFE-CGC n’avait pas attendu la publication des notations pour signaler le risque de contournement du mécanisme. “il ne suffit pas de définir des indicateurs pour s’assurer que cela va engendrer des progrès dans les entreprises”, relativise le syndicat des cadres et agents de maîtrise. Il regrette d’avoir été éconduit le ministère du Travail auquel il a réclamé des simulations au sein d’un panel d’entreprises avant la publication du décret idoine. Il demande maintenant à ses représentants sur le terrain de “vérifier” la fiabilité des ratios annoncés par les directions générales.
Il n’est pas sûr qu’ils en aient la possibilité partout. À en croire la CGT, “dans de nombreuses entreprises, la note a même été annoncée sans consultation du CSE, comme prévu par le décret”. La quasi-totalité des pionniers (parmi les 1400 grandes entreprises concernées) est irréprochable. Premiers de la classe, la Maif, Primark, Sodexo, affichent un score de 99 sur 100, juste devant la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav) qui se crédite de 98 points, tandis qu’Essilor, Sanofi et Michelin se situent à 94 points. À la CFDT, on en sourit, avec, pour seul commentaire “c’est sans surprise”.
Les champions défendent leur index
Les champions défendent leur politique en la matière. “notre score est le fruit des efforts entrepris depuis plusieurs années à tous les niveaux de l’entreprise”, se flatte Évelyne Llauro-Barrès, DRH de la Maif, en citant notamment les mesures prises en 2017 en faveur de la maternité, de la paternité et de l’adoption. Renaud Villard, DG de la Cnav, Anne Sophie Berrard, DRH d’Essilor et son homologue Paul Peny de la Caisse des Dépôts font une analyse similaire concernant leurs entreprises respectives. De même, pour Sodexo, le résultat de l’index n’est qu’une preuve de plus de sa constance dans l’équilibre entre les genres. Il est vrai que le groupe a été récemment sacré numéro deux du palmarès des sociétés françaises cotées en Bourse pour la mixité de ses équipes, après avoir été récompensé pour la féminisation de son conseil d’administration.
Dans ce concert d’autosatisfaction, les mauvais élèves qui ont raté la marche, viennent presque crédibiliser le dispositif, évitant de le faire passer pour un simple exercice statistique. On trouve parmi ces recalés, Enedis, Engie, et quelques autres. La ministre du Travail, Muriel Pénicaud, a indiqué que celles dont l’État est actionnaire devront engager des mesures correctives dès cette année, sans attendre le délai de trois ans prescrit par le décret. La CFDT attend de pied ferme “le bilan qui devra être fait” et se dit prête à “proposer, le cas échéant de faire évoluer les mécanismes de pondération”.