De l’humanisme à l’opportunisme, la RSE miroir de l’ambition managériale

Même si la RSE puise ses racines dans les années 50/70 (Social Responsability of the Businessman de Howard R.Bowen) et que ses origines remontent au XIXe siècle en Amérique du Nord sous l’impulsion de Patrons visionnaires et humanistes, elle est toutefois réellement devenue un sujet de gouvernance d’entreprise depuis seulement une trentaine d’années via des marchés financiers qui avaient, après plusieurs crises, à cœur d’imposer une « certaine vertu » aux entreprises cotées.

 

Autant dire que la RSE est à la fois un sujet naturel de mieux être et de mieux vivre mais aussi un sujet opportuniste pour créer encore plus de valeurs. Elle est aussi, au fil du temps, devenue un sujet politique, à l’instar du livre vert de 2001 de la Commission Européenne qui en donna une définition précise : « l’intégration par les entreprises de préoccupations sociales, environnementales et économiques dans leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes sur une base volontaire ». La dimension du développement durable et responsable s’est par ailleurs imposée depuis le début des années 2000. Aujourd’hui, sous la pression de la situation écologique de la planète, elle devient une contribution majeure de la légitimité de l’entreprise dans le « vivre ensemble ».

 

À y regarder de près, dans une économie mondialisée où le financier a éloigné l’entreprise du quotidien des personnes, la RSE replace l’entreprise au milieu de la Cité comme le soulignait le rapport sur la Raison d’être de Nicole Notat et Jean-Dominique Senard. Hier l’entreprise familiale vivait au milieu du village, aujourd’hui l’hyper-financiarisation a éclaté l’actionnariat.

 

Avec la RSE, c’est une conscience du « village planète » qui fait sens en imposant une notion trop longtemps oubliée : l’éthique. Après un balancier extrême vers « le monde hyper » – hyper-mondialisé, hyper-productiviste, hyperconnecté-, un contre balancier porté par une quête de sens – sens de l’action, sens vis à vis de soi, des autres, sens de la nature – émerge depuis une dizaine d’années faisant de l’éthique un portevoix du changement. Si l’on accepte que l’éthique renvoie à la conception morale de l’action, la RSE devient une philosophie de gouvernance portée non plus par l’intérêt de quelques-uns, mais par le bien-être collectif et la conscience de l’interdépendance. En clair, pendant plus d’un siècle nous avons évolué vers un monde de compétitivité extrême portant aux nues l’individualisme, aujourd’hui le rééquilibrage auquel nous assistons, nous redirige vers une conscience collective.

 

La RSE, dès lors, est porteuse de cette conscience collective et ne peut se résumer à une boite à outils bienveillante dictée par l’écriture d’un rapport annuel. La RSE va s’imposer comme la conscience même de l’entreprise du XXIe siècle. Nous sommes actuellement dans la caricature de cette vision par un holdup du sujet par des experts du « bien penser » qui aboutit à des Raisons d’être ou des définitions d’entreprises à mission à la guimauve.La RSE est une opportunité historique de penser l’avenir, elle est à la fois plan, outil et artisan d’une entreprise à sublimer. Pour cela, il est important d’en accepter la transversalité totale dans une politique de changement. Elle n’est pas l’apanage d’une fonction, mais le miroir de la capacité de transformation des équipes dirigeantes qui doivent être capables de penser un futur éthique. N’est- ce pas d’ailleurs une bonne définition d’une gouvernance qui guide, en opposition à une gouvernance qui impose ?

 

Pour chaque entreprise, la RSE décline la notion même de l’éthique dans les domaines du management, de la production, de la relation clients, de l’environnement, de la finance aussi. Aucun pan ne peut se soustraire d’une telle grille de lecture à partir de laquelle les droits et devoirs de chacun se dessinent. Seule la RSE peut aider à sortir de la pensée unique du management standard et des modes du copier-coller qui aseptisent la pensée humaine en entreprise. Portée par la culture de l’entreprise, elle formalise les vrais enjeux et les vrais objectifs en interrogeant chaque direction, chaque service, afin de définir un CODE ETHIQUE qui devient la boussole de vie de l’entreprise. Cette boussole de vie fédère et agrège en créant une harmonie de sens qui oblige chaque manager, à commencer par les équipes de directions. Souvent, il est de bon ton de citer l’exemplarité comme vertu du leadership, il est plus juste d’évoquer le respect de l’éthique portée par la RSE de l’entreprise, car un manager ne s’appartient pas au sens individualiste, mais se dévoue à la cause de son entreprise (autrement c’est un mercenaire).

 

L’entreprise du XXIe siècle va forcément évoluer vers cette éthique et cette morale et accompagner les mutations du monde, luttant contre « les démons passés » que sont l’arrivisme, le despotisme, le cynisme, le harcèlement et tous « les Hypers quelques choses » qui anéantissent le temps de la réflexion. Il n’y a pas de fatalité aux atermoiements existentiels du management, aux troubles de fidélité et d’engagement, aux errances d’incarnations que nous connaissons et qui aboutissent à la déshumanisation des organisations, le rejet par la génération Z des modèles passés, la montée des risques psychosociaux. La RSE est le miroir de l’ambition managériale, il est temps de passer de l’incantation à l’action pour incarner un nouvel art de vivre.

 

Par Thierry Boukhari , DG en charge des relations humaines chez Gifi